ALM & IA
« Comment couvrir la Marge Nette d’Intérêts (MNI) et la Valeur économique (EVE) d’un bilan bancaire par réseaux de neurones »
Décryptage…
Introduction
Cette publication décrit une expérience numérique que nous avons trouvée intéressante, dans le cadre de l’activité d’ALM (gestion actif-passif) des banques. Cette expérience concerne des calculs de mesures de risque et de stratégies de couverture et utilise notamment le modèle de volatilité (local) SABR. La motivation de ce test vient du cadre de Bâle, plus précisément du texte IRRBB, obligeant les banques à atténuer leurs sensibilités aux chocs de taux d’intérêt. Pour ce faire, une manière de procéder est d’utiliser des stratégies de couverture minimisant les sensibilités ou les variances. Cet article montre un exemple d’un tel calcul de couverture, vu sous un angle qualitatif, non quantitatif.
Cette expérience a été faite en utilisant notre librairie CoDeFi. Pour les applications en Finance, la particularité de CoDeFi est d’être capable de calculer très rapidement des mesures de risque variées (e.g. prix, sensibilités, VAR, expected exposure, …), même avec de nombreuses sources de risque (actions, taux, inflations, devises…) ou des produits dérivés complexes (options américaines, swaptions…). D’un point de vue technique, cette librairie résout les équations aux dérivées partielles de la Finance par des méthodes sans maillage. En particulier, les méthodes numériques utilisées par CoDeFi, qui sont des méthodes originales, peuvent être interprétées très naturellement comme des techniques d’intelligence artificielle type deep learning. Plus précisément, CoDeFi intègre nativement n’importe quel réseau de neurones.
L’expérience
Pour décrire l’expérience, commençons par le début : nous décrivons d’abord le modèle SABR. Ici, le processus stochastique SABR est utilisé pour modéliser un taux, appelé LIB6M. Le modèle SABR étant un processus stochastique bidimensionnel, nous appelons son premier processus LIB6M_PCS et le second processus LIB6M_PCS_VOL. Les deux sont supposés être observables, c’est-à-dire que leurs valeurs sont aujourd’hui connues. Pour représenter l’évolution de ce processus stochastique, nous avons décidé de représenter sa densité. Plus précisément, la vidéo suivante représente l’évolution dans le temps d’une somme de Dirac approximant la densité du processus SABR.
Une fois ce processus calculé, nous définissons le Libor sous-jacent (LIB6M) comme étant proche du premier composant LIB6M_PCS. Cependant, étant donné que ce sous-jacent est calibré pour refléter les prix du marché, il ne prend pas exactement les mêmes valeurs que le processus LIB6M_PCS. Les prix du marché sont ici simplement donnés par une matrice de 12 caplets (3 strikes / 4 maturités). Par exemple, la vidéo suivante représente l’évolution temporelle de l’un de ces caplets (échéance 1 an, maturité 3%). Il affiche plus précisément les valeurs prévisionnelles du caplet, jusqu’à son échéance d’un an, en fonction des valeurs de son taux sous-jacent. Notez que cette vidéo ne montre pas le payoff du caplet, mais ses valeurs futures, qui sont plus précisément des solutions d’équations multidimensionnelles de Black and Scholes (AKA Kolmogorov). Ces valeurs futures sont une fonction de trois arguments (en réalité plus): (time, LIB6M_PCS, LIB6M_PCS_VOL), que nous représentons sous forme de projection sur deux arguments (time, LIB6M).
Un caplet est un dérivé de taux. L’ALM définit des métriques qui peuvent également être considérées comme des instruments dérivés de taux, bien que plus complexes qu’un caplet. En particulier, nous considérons pour cette expérience les indicateurs de Marge Nette d’intérêt (MNI) et la valeur économique (EVE). La MNI vient généralement avec une maturité. Nous la fixons à 2 ans et représentons dans l’image suivante les valeurs futures de la MNI en fonction du temps.
Dans la vidéo suivante, nous représentons l’évolution en temps de la densité de la MNI, en considérant la MNI comme une variable stochastique :
Notez que MNI et EVE sont généralement calculées à partir d’un scénario: en considérant une évolution donnée des taux (un scénario), on calcule ces indicateurs. Cependant, nous ne pouvons pas définir une stratégie de couverture de type sensibilité avec une telle définition. Cela motive notre choix de passer d’une définition basée sur un scénario à une définition de type stochastique.
La MNI peut aussi être représentée comme le caplet de la vidéo précédente. Ainsi, la vidéo suivante représente son évolution temporelle en fonction du taux sous-jacent (LIB6M).
En particulier, on peut remarquer que la MNI diminue à mesure que les taux baissent (dernière image de la vidéo). Ceci est dû au fait que nous avons inclus un modèle de renégociation anticipé, modélisé comme un exercice optimal, c’est-à-dire similaire à une option de type américain, laissé au client. Par conséquent, ce modèle de renégociation anticipé induit une optionalité dans la MNI.
Dans ce contexte, un problème classique pour l’ALM est la couverture de la MNI. Dans la vidéo suivante, nous présentons une couverture statique, qui est une couverture réalisée aujourd’hui, mais considérée comme ne changeant pas au cours du temps. Cette couverture est calculée à l’aide d’une douzaine de Caplet et de quatre swaps de taux d’intérêt de différentes échéances (allant de 6 mois à 4 ans). Cette couverture est calculée afin de minimiser la sensibilité de la MNI à son sous-jacent LIB6M. La sensibilité se réfère ici à la dérivée partielle des valeurs futures de la MNI par rapport aux valeurs futures de la variable stochastique LIB6M. La courbe bleue est celle de la MNI, déjà montrée dans la vidéo précédente. La rouge est la MNI couverte.
Une autre représentation, équivalente à la première, consiste à représenter les densités de la NII (en bleu) et de la NII couverte (en rouge). On peut voir immédiatement dans cette vidéo que la NII couverte possède une variance plus faible que la NII non-couverte. Cette couverture en sensibilité a un prix, qui est celui des instruments de couverture, et qui abaisse la valeur moyenne de la MNI.
MNI_dynamic_hedged_densities.mp4
Nous avons choisi de présenter une stratégie statique car c’est celle étudiée par la réglementation type IRRBB. Cependant nous aurions pu tout aussi bien présenter une stratégie dynamique, similaire à la stratégie statique, mais dans laquelle les quantités d’instruments de couverture sont recalculées sur tous les temps. Ou alors une stratégie qui minimise la variance ou la sensibilité à un prix maximal de couverture. Ou une stratégie basée sur la minimisation de la variance ou la sensibilité, à un certain niveau comme un quantile donné. Toutes ces stratégies peuvent s’appliquer également à l’EVE, ou bien une combinaison pondérée de la MNI et de l’EVE.
Conclusions
Dans cette expérience, nous avons présenté une stratégie de couverture basée sur l’atténuation des sensibilités de la MNI. Nous avons réalisé cette expérience en définissant un exercice optimal pour prendre en compte les effets de renégociation anticipée. Mon sentiment est que cette expérience pourrait ouvrir la porte à des développements assez intéressants dans le cadre de l’ALM et de sa régulation.
Une dernière remarque : les simulations ont pris en compte une courbe risque neutre utilisant le modèle de Libor Market Model, pour lequel nous avons également utilisé quatre processus log-normaux corrélés. Ainsi, le nombre de sources de risque pour cette expérience était de six, même si seules les deux sources de risque du processus SABR étaient présentées. Par conséquent, nous avons résolu une équation de Kolmogorov à six dimensions pour ce test. Un ordinateur portable a mis environ 20 secondes à réaliser l’ensemble de la simulation : comme déjà observé pour cette applications type Dérivées Actions, la dimensionnalité n’est plus un problème pour la finance mathématique. D’autre part, nous pourrions traiter des milliers de calculs de MNI sans augmenter notablement ce temps d’exécution.