EQRBB (Equity Risk in the Banking Book) : les actions du portefeuille bancaire, un risque à mieux suivre ?

 

Depuis deux ans, l’attention portée par la BCE au portefeuille bancaire n’a cessé de croître.

 

Après avoir publié de nouvelles orientations sur le risque de taux (IRRBB : Interest Rate Risk in the Banking Book) et le risque de spread de crédit (CSRBB : Credit Spread Rate Risk in the Banking Book) en octobre 2022, elle pourrait ouvrir de prochains chantiers concernant les autres risques du Banking book, parmi lesquels :

  • FXRBB (FX Risk in the Banking Book, soit le risque de change du portefeuille bancaire)
  • ou EQRBB (EQuity Risk in the Banking Book)

Ici, nous allons nous intéresser à l’EQRBB, qui a fait son apparition dans les templates du Short Term Exercise (STE) en 2023.

Dans un premier temps, nous allons essayer de comprendre les positions et le risque qui se cachent derrière ce nouvel acronyme. Ensuite, nous identifierons les enjeux réglementaires que portent les actions du portefeuille bancaire, avant de proposer quelques pistes pour une meilleure prise en compte de ce risque.

 

Le risque des actions du portefeuille bancaire : de quoi s’agit-il ?

Par définition, le portefeuille bancaire (Banking Book) est constitué de l’ensemble des encours de la banque qui ne sont pas logés dans son portefeuille de négociation (ou Trading Book). Il accueille les positions que la banque n’a pas l’intention de céder à court terme.

Dans la suite de l’article, le terme Banking Book s’entendra au sens prudentiel.

Comptablement, les positions peuvent être enregistrées aussi bien à la Juste valeur qu’au Coût amorti. Le Banking Book prudentiel se distingue donc du Banking Book comptable.

 

Des portefeuilles diversifiés, regroupant des activités variées

L’examen des portefeuilles bancaires révèle une variété insoupçonnée d’expositions. La CRR (cf. paragraphe suivant) fournit une première typologie d’actions qu’on peut y trouver : actions de capital investissement, actions cotées, autres actions, et parts de fonds.

Ces actions peuvent aussi être classées selon les activités auxquelles elles correspondent et qui sont multiples :

  • Prises de participations (directes ou via des fonds), qu’elles soient stratégiques ou non (en soutien de l’activité commerciale, dans des sociétés de place comme Euroclear, Visa, etc)
  • Capital investissement, que ce soit dans le cadre d’une activité pour compte propre, ou en amorçage de fonds (Seed money)
  • Soutien aux activités de gestion pour compte de tiers, pour les banques ayant des filiales en gestion d’actifs
  • Placement d’excédents de fonds propres
  • Encours hérités d’autres activités de la banque
  • Etc

 

Le calcul des Exigences de fonds propres des actions du portefeuille bancaire

Tous ces portefeuilles génèrent un risque pour les établissements, qui doivent calculer le montant de fonds propres qui permettra d’y faire face.

C’est l’article 155 de la CRR (Capital Requirements Regulation) qui définit le calcul des exigences de fonds propres pour les actions du portefeuille bancaire. Trois méthodes existent :

  • La méthode PD/LGD (ou méthode standard): application de Risk Weights calculés en fonction de niveaux de PD et LGD
  • L’approche fondée sur les modèles internes (ou notation interne): approche en VaR
  • La méthode de pondération simple, basée sur des Risk Weights (RW) forfaitaires :
    • RW = 190% pour les expositions de capital investissement (logées dans des portefeuilles suffisamment diversifiés)
    • RW = 290% pour les actions cotées
    • RW = 370% pour les autres actions

Ainsi, une position de 100 euros sur une action cotée va générer un besoin de capital de 23,2 euros (=100 euros x 290% x 8%)

Pour les fonds, une approche par transparence peut être utilisée (en fonctions des actifs du fonds, un RW de 290% ou 370% sera appliqué), et lorsqu’elle n’est pas possible, un RW de 370% est utilisé.

Comme nous pouvons le constater, avec la CRR, les actions détenues dans le Banking Book, destinées à rester longtemps dans les portefeuilles, sont vues comme porteuses d’un risque de crédit. L’idée sous-jacente du régulateur est sans doute qu’une perte sur l’une de ces lignes ne pourrait venir que d’un défaut.

L’ICAAP doit mettre en œuvre une vision plus économique, et donc plus proche du risque réel de ces encours.

 

Les actions dans les portefeuilles bancaires des banques françaises : des expositions significatives insuffisamment suivies

Les expositions actions dans les portefeuilles bancaires varient significativement selon les banques. Dans ce qui suit, nous allons nous focaliser sur les cinq plus grands groupes bancaires français : BNP Paribas, Crédit Agricole, BPCE, Crédit Mutuel, et Société Générale.

Le tableau page suivante détaille les expositions de ces cinq groupes, classées en fonction de la méthode employée pour calculer leurs exigences de fonds propres. Ces données publiques sont publiées dans les Documents d’enregistrements universels, et les rapports Pilier 3, disponibles sur les sites web des banques.

Ce tableau démontre que les portefeuilles bancaires contiennent des encours importants sur les actions, issus d’activités variées comme nous l’avons vu précédemment.

Malgré cette incontestable matérialité, l’EQRBB ne fait l’objet, aujourd’hui, d’aucune consolidation (à notre connaissance, aucune banque française ne suit ce risque de manière agrégée). L’EQRBB n’est pas encore vu comme un risque en tant que tel : absent des cartographies de risques et des exercices d’appétit pour le risque, il ne fait pas l’objet d’une quantification dédiée dans l’ICAAP.

Nous observons, néanmoins, que le suivi de ce risque est partiellement couvert par ces processus de risque. Cela concerne en particulier les expositions provenant des activités de capital investissement, et les participations stratégiques.

Ce tableau révèle également que les exigences de fonds propres (au titre du risque de crédit) induites par les actions du Banking Book sont majoritairement calculées selon la méthode de pondération simple. Cette méthode consiste à appliquer des pondérations forfaitaires, sans prendre en compte la nature réelle des risques sous-jacents. Une certaine hétérogénéité apparait cependant, avec BNP Paribas qui semble ne pas utiliser les modèles internes.

Le paragraphe suivant illustre la matérialité des actions du portefeuille bancaire dans le bilan (et le hors-bilan) des établissements français.

 

Poids du risque actions du Banking Book dans les RWA crédit des banques

Le tableau ci-dessous affiche le poids de l’EQRBB dans les Exigences de fonds propres des cinq principaux groupes bancaires. Nous constatons que les actions du Banking Book représentent une part significative des RWA (Risk Weighted Assets, desquels sont déduits les Exigences en fonds propres). Les explications sont multiples, comme le poids de l’histoire ou l’importance des activités de capital investissement dans le Groupe par exemple.

Selon la documentation publique (Documents d’enregistrement universels, et Rapports Pilier 3), l’EQRBB représente entre 5 et 20% des Exigences de fonds propres des établissements français.

Parmi les banques françaises, c’est la Société Générale qui est la moins exposée sur les actions, dans son portefeuille bancaire. Étant donné le poids des dérivés actions dans ses activités de marché, on peut imaginer que sa place dans le classement est différente si l’on s’intéresse à son Trading Book.

 

EQRBB : quelles sont les prochains défis à relever pour les banques ?

Contrairement à l’IRRBB (Interest Rate Risk in the Banking Book) et au CSRBB (Credit Spread Risk in the Banking Book, auquel nous avons consacré un précédent article, en juin 2024), l’EQRBB ne fait pas encore l’objet de guidelines de l’EBA.

Même si les attentes de la BCE n’ont pas encore été formalisées, quelques pistes se dessinent déjà, parmi lesquelles le STE (Short Term Exercise), qui imposent déjà un devoir de vigilance renforcée.

 

Le premier des chantiers : la consolidation du périmètre

Les banques que nous avons accompagnées dans l’amélioration du suivi de leurs expositions EQRBB sont toutes confrontées au même problème : avoir une vue exhaustive de leurs positions.

Les difficultés sont multiples :

  • Elles sont d’abord techniques : contrairement aux expositions du Trading Book, les positions de l’EQRBB ne sont pas centralisées dans un unique système d’information.
  • Elles sont également organisationnelles : alors que les expositions actions du Trading Book sont suivies par le département des risques de marché, celles du Banking Book n’ont pas d’équipes dédiées. Ainsi, les participations sont souvent suivies par la direction financière, tandis que l’activité de capital investissement est suivie par des équipes risques dédiées.

 

L’intégration de l’EQRBB dans les processus de gestion des risques

Aujourd’hui, aucune réglementation dédiée à l’EQRBB n’existe. Nous pouvons cependant anticiper certaines attentes, sur la base des recommandations formulées par la BCE lors de ses visites sur site.

Les guidelines EBA sur le CSRBB fournissent également quelques pistes, car elles révèlent ce qu’attend la BCE en matière de suivi du risque de marché du Banking Book :

  • Exhaustivité du périmètre
  • Pertinence des indicateurs
  • Chocs de stress tests granulaires

Mêlé à d’autres catégories de risque (crédit, portefeuille titres, etc), le risque actions du portefeuille bancaire doit trouver sa place dans l’ensemble des processus de gestion des risques :

  • La cartographie des risques
  • L’appétit pour le risque
  • L’ICAAP (approches économiques et normatives)
  • Le Short Term Exercise (STE)

Le développement de nouvelles méthodologies dédiées à l’EQRBB permettra de mieux capter les risques induits par les actions.

 

L’EQRBB dans le Short Term Exercise (STE)

La BCE a récemment ajouté un template « EQRBB », que les banques doivent remplir dans le cadre de l’exercice réglementaire Short Term Exercise[3]. L’EQRBB est ainsi consacré comme un risque à part entière.

Ce template rappelé à la page suivante, intégré à la partie « Market risk », doit fournir une vision selon plusieurs axes :

  • Grandes/petites capitalisations
  • Secteurs
  • Expositions par classification comptable
  • Ainsi que les delta et les vega

L’EQRBB devient un composant majeur des risques de marché du Banking Book.

L’EQRBB dans l’ICAAP

Comme nous l’avons vu plus haut, les actions du Banking Book sont intégrées comme un risque de crédit dans le calcul du besoin de capital réglementaire. Cette vision réglementaire paraît éloignée de la vraie nature du risque EQRBB, qui est un risque de prix, donc un risque de marché.

Pour le capital économique, par défaut, c’est ce même montant de capital réglementaire qui est retenu. En effet, nous observons que la plupart des banques, en l’absence de modèle de capital économique dédié à leur EQRBB, reprennent le Pillier 1.

Des établissements ont cependant développé leurs propres méthodologies (souvent basées sur des stress tests) pour certaines de leurs activités, au premier rang desquelles figure le capital investissement.

 

La plupart des banques ont encore des travaux à réaliser pour être alignées avec les attentes du régulateur concernant l’approche économique de l’ICAAP. Leur approche normative est souvent plus mature, les banques ayant déjà mis en place des stress tests adaptés aux actions du Banking Book. Ceux-ci consistent à appliquer des chocs actions, de marché, cohérents avec les hypothèses macro-économiques des scenarios baseline et adverses.

 

Mise en place d’un suivi des risques de marché des actions du portefeuille bancaire

Au sein de leurs Trading Books, les banques appréhendent le risque de leurs expositions actions (et dérivés actions) comme un risque de marché intégré à leur dispositif de maîtrise des risques de marché, sur l’ensemble des activités de marché de leurs Banques de Financement et d’Investissement. Elles disposent également d’instruments variés pour couvrir ce risque.

Les actions du Banking Book génèrent elles aussi un risque de marché, c’est-à-dire un risque de dépréciation lié à une évolution défavorable des marchés financiers. C’est d’ailleurs la vision de la BCE qui, avec le STE, demande de remonter les grecs (delta et vega – voir plus haut -).

Dès lors, les banques doivent mettre en place un véritable suivi des risques.

Un dispositif robuste de stress testing doit être défini, avec différents scenarios qui permettent d’estimer les impacts, sur les valorisations, de différentes crises, qu’elles soient hypothétiques, ou déjà observées (historiques). La calibration des chocs doit distinguer les différents types d’encours et les différences de liquidité si certains actifs devaient être cédés (par exemple : actions cotées vs actions non cotées).

Comme dans le STE, le périmètre doit être analysé selon la répartition par zone géographique ou par secteur d’activité.

En complément, certaines banques ont également développé une approche basée sur la VaR (Value at Risk).

Enfin, un suivi basé sur les sensibilités paraît indispensable. La mise en place de couvertures doit également être discutée.

 

Les actions du portefeuille bancaire présentent-elles seulement un risque de marché ?

Il ne fait aucun doute selon nous que l’EQRBB est avant tout un risque de marché.

Cependant, un examen des activités bancaires fait apparaître certaines particularités qui doivent être elles aussi prises en compte pour une juste appréciation du risque. Nous en mentionnons deux ici.

 

Le capital investissement

La première est l’horizon de détention : à l’opposé de celles logées dans les Trading Books, ces positions ont vocation à rester de manière prolongée dans les portefeuilles. Il semble donc pertinent, dans la détermination des stress tests, de calibrer des chocs sur des horizons plus longs.

Cette question est étroitement liée à celle de la liquidité de ces actions. Alors que les actions détenues dans les Trading Books sont en majorité liquides, certaines actions  logées dans les Banking Books le sont beaucoup moins. C’est notamment le cas des expositions issues de l’activité de capital investissement (ou Private Equity).

Ce risque de liquidité vient donc se superposer au risque de marché.

 

La Seed Money

La plupart des grandes banques françaises ont leur propre activité de gestion d’actifs (représentant une part importante de leurs revenus, pour la plupart d’entre elles). Afin de soutenir leurs filiales, les banques participent à l’amorçage de leurs fonds (ou Seed Money). Les parts de ces nouveaux fonds qu’elles détiennent sont logées dans les portefeuilles bancaires, l’horizon de détention cible étant de deux ans.

Le premier risque généré par cette activité est bien sûr un risque de marché : en investissant dans le fonds, la banque se retrouve exposée au risque de dépréciation des actifs du fonds. Elle se retrouve ainsi exposée à plusieurs classes d’actifs : les actions, les obligations induisant un risque de taux et un risque de spread de crédit, le change, l’immobilier, les matières premières, des stratégies alternatives, etc.

Lorsque les performances du fonds ne parviennent pas à attirer les investisseurs, le nombre de porteurs de parts va rester inchangé, et le lancement du fonds est un échec. C’est l’autre grand risque de l’activité de Seed money.

 

Conclusion : vers de nouvelles exigences réglementaires pour l’EQRBB ?

Après le CSRBB et l’IRRBB, les banques européennes attendent de mieux connaître les attentes de la BCE quant à l’EQRBB.

Comme nous l’avons vu avec les cinq principaux groupes bancaires français, le poids des actions dans les portefeuilles bancaires est souvent significatif, générant des Exigences en fonds propres importantes.

Cette vision réglementaire du capital doit être complétée par une vision plus économique ; c’est le but de l’ICAAP. En cherchant à quantifier l‘EQRBB avec davantage de finesse, le capital économique montre toute sa pertinence pour une vision holistique des risques engendrés par ces positions.

Mais l’ICAAP n’est que la vision aboutie d’un dispositif de gestion des risques qui permet de mesurer et contrôler l’ensemble de l’EQRBB. La route pour y parvenir est encore longue. Obtenir une vision consolidée de l’ensemble des positions constitue à n’en pas douter la première étape.

Les étapes suivantes consisteront à normaliser les données, mesurer le risque, le reporter, puis l’inscrire dans la gouvernance interne afin de garantir une appropriation par le Senior Management.

La BCE devrait détailler ses attentes ; les banques pourront alors prioriser leurs travaux.

 

[1] EAD : Exposure At Default, ou Valeur en risque. C’est l’exposition au moment du défaut

[2] RWA : Risk Weighted Assets, ou actifs pondérés, sur la base desquels les Exigences de fonds propres sont calculées

[3] Pour rappel, le “STE” est un exercice réglementaire, trimestriel, qui a lieu dans le cadre du SREP. Il consiste à fournir à la BCE un ensemble d’informations concernant les risques de crédit, de marché, du Banking Book, ainsi que des données relatives aux revenus de la banque et à sa situation de liquidité.

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Article EQRBB _ 17 novembre 2024