Quelles solutions pour apporter de la pertinence aux stress tests réglementaires
Par Omar Mehdi Roustoumi, Manager – Les Cahiers Louis Bachelier N°17 Page 8
Les stress tests réglementaires réalisés en 2014 ont été largement commentés et critiqués par les observateurs et les professionnels. Après avoir souligné certaines incohérences dans les scénarios, Omar Mehdi Roustoumi, manager et responsable du pôle Quantitative Finance chez MPG Partners, propose des pistes d’amélioration grâce à l’intégration du risque systémique et à l’utilisation des nouvelles technologies du Big Data et de la Data Science.
Le second semestre de l’année 2014 a été animé par une série de stress tests annoncés par l’EBA (European Banking Authority). L’exercice a été réalisé sur un échantillon de 124 banques européennes dont les activités couvrent au moins 50 % du secteur bancaire domestique de chacun des Etats membres de l’Union Européenne concernés. La BCE s’est félicitée des résultats car “ seules” 25 banques ont échoué à ce stress test réglementaire. Les stress tests tels que définis par l’EBA suivent une approche dite “bottom-up” et ont pour objectif d’assurer la cohérence et la comparabilité des résultats à partir de méthodologies communes à toutes les banques.
Des scénarios macroéconomiques et des scénarios de marché censés représenter un état de crise sont émis par la BCE. Cet état de crise est défini relativement à un état “normal“. Les scénarios macroéconomiques concernent les prix de l’immobilier, le taux de chômage, l’inflation, le cours de la bourse (CAC 40 pour la France), les taux d’intérêt et la récession. Les scénarios de marché consistent à effectuer des chocs sur les facteurs de risques impactant les différents trading books de la banque. Ces scénarios sont communs à toutes les banques. Une fois ces scénarios émis, un certain nombre d’échanges bilatéraux ont lieu entre chaque banque et des représentants de la BCE afin de se mettre d’accord sur les périmètres et méthodologies de mise en place des stress tests. La BCE a par la suite porté une attention particulière à ces stress tests en challengeant les banques et en examinant les résultats en détail..
Stress tests risques de crédit, de contrepartie et de marché
Tous les actifs exposés aux risques de crédit et de contrepartie sont concernés par ce stress test. Il s’agit ici de calculer la probabilité de défaut (PD) et la perte en cas de défaut (LGD) en fonction des scénarios retenus. Concrètement, il faut relier les séries temporelles des taux de défaut aux facteurs de risques macroéconomiques affectant chaque portefeuille, puis projeter ces taux sur chaque pas de temps trimestriel, à horizon trois ans avec les données de la BCE. Les modèles d’évolution des taux de défaut sont le plus souvent fondés sur des modèles économétriques de séries temporelles (modèles autorégressifs AR, Vectoriels AR, modèles vectoriels autorégressifs à corrections d’erreurs VECM…). Les stress tests marché pour une banque consistent à effectuer des chocs sur ses facteurs de risque de marché, en répliquant les scénarios de stress observés durant les principales périodes de crise. D’autres chocs hypothétiques sont également effectués selon un scénario “normal” et un scénario “adverse”. Il s’agit ensuite de calculer sur les différents portefeuilles de trading de la banque, les impacts en P&L de ces chocs.
Des scénarios incohérents
Comme pour les dernières éditions, ces stress tests ont été largement critiqués par les spécialistes du secteur bancaire. Le cas des taux d’emprunt d’Etat français en est une illustration. Le pire scénario proposé par la BCE est un taux d’emprunt à environ 4 % à horizon 2016. Or, pendant la crise de 2008, les taux ont frôlé les 6 %. Il paraît donc curieux d’effectuer un stress test avec un taux inférieur à celui de la dernière crise ! Un taux d’emprunt à 7 ou 8 % aurait été plus raisonnable comme scénario extrême, d’autant que d’autres pays européens ont connu des taux encore plus élevés. Sur le plan de la récession, le pire scénario proposé par la BCE est de -2 %. Or en 2009, elle était déjà de -2,5%. Ces critiques valent aussi pour les autres scénarios macroéconomiques. Concernant les stress tests marché, beaucoup de chocs relatifs définis par la BCE sont incohérents comme par exemple des volatilités de taux choquées à 10000 %. Les scénarios marché, contrairement aux scénarios macroéconomiques, sont ceux d’une méga crise. Un effort d’homogénéisation et de cohérence entre ces scénarios devrait être effectué par la BCE.
Mieux intégrer le risque systémique
En cherchant à mesurer les effets de scénarios macroéconomiques et de marché sur les expositions d’une banque prise seule, on ne prend pas en compte les effets de contagion qui peuvent se produire lors de la faillite d’une banque ou du défaut d’un pays. En 2008, la faillite de la banque Lehman Brothers a déclenché une réaction en chaîne qui a affaibli tout le système financier et engendré une crise dont on peine encore à sortir. Il conviendrait donc d’étudier la résistance des banques aux conséquences systémiques de la faillite d’une grande banque. Certains travaux de recherche reposant sur la théorie des graphes donnent quelques pistes intéressantes pour maîtriser ce “risque systémique”. Si demain JP Morgan faisait faillite, les impacts seraient désastreux sur beaucoup plus de banques que les 25 qui ont échoué aux stress tests. Sans prendre en compte ce risque, l’exercice des stress tests reste incomplet.
Les enjeux de la qualité des données
Enfin, les conditions de production de ces stress tests soulèvent des questions. En effet, les stress tests sont en général modélisés et produits par les équipes risque sur des données répliquées du front office. La collecte et l’agrégation de ces données s’effectue depuis une multitude de sources, à des fréquences et avec des techniques différentes. Leur stockage également. Cette diversification engendre des problématiques d’exhaustivité, de fiabilité et d’intégrité des données ainsi qu’une grande lourdeur dans les calculs. La production et la certification des données en deviennent également compliquées et parfois altérées. À l’heure où les banques réfléchissent à industrialiser les calculs des stress tests et toutes les métriques réglementaires, les moyens de production sont souvent d’un autre temps, remettant ainsi en question la pertinence des résultats et, parfois, la possibilité même d’obtenir des résultats. Rares sont aujourd’hui les banques capables d’appliquer des stress tests sur des positions passées, comme cela a été demandé par le régulateur. Il est donc grand temps pour les banques de profiter de tout l’arsenal technologique offert par le Big Data et la Data Science afin de fiabiliser et d’optimiser tout le processus de production des stress tests, mais aussi de toutes les autres mesures de risques réglementaires ou économiques.