Quels nouveaux enjeux pour la banque privée en France ?
Durant la dernière décennie, force est de constater les multiples facteurs soulignant l’attractivité de plus en grandissante du marché de la gestion privée en France. Enrichissement fulgurant de certains foyers, accroissement du nombre de millionnaires, abaissement des tickets d’entrée : la gestion de patrimoine a rarement paru autant attrayante…
Mais cette embellie cache une profonde mutation du secteur. Les experts sont unanimes, la banque privée est de moins en moins rentable… Selon l’EFMA (European Financial Management Association), le coefficient d’exploitation des banques privées en Europe est en chute-libre, perdant au passage quasiment 20 points (85 à 65%). Entre l’inflation des textes réglementaires et l’évolution des besoins des clients dans un environnement post-crise, la gestion privée est confrontée à des défis majeurs et doit surmonter de gros obstacles pour rester pérenne. C’est ce à quoi s’efforcent beaucoup de banques privées tant bien que mal au travers des nouvelles ambitions affichées. Il faut dire que l’activité, avec un nouvel élan, peut être prometteuse car avantagée par la réglementation Bâle 3, au regard de sa consommation très faible de fonds propres et sa capacité à générer de la liquidité : « En Europe, environ 30 % des encours de gestion privée sont en dépôt ou en placement à court terme, et ce taux atteint 25 % en France. » selon McKinsey.
Une activité non épargnée par la crise et une clientèle de plus en plus exigeante…
L’activité de gestion privée en France, comme partout ailleurs, a subi de fortes turbulences lors de la crise financière de 2007 qui a résulté en une fonte des actifs financiers et à une aversion au risques des clients.
L’année 2007 a marqué le début d’une série d’incidents qui a perturbé les marchés financiers. La défiance et l’aversion au risque des investisseurs ont généré une phase de rachat sur les produits financiers historiques. Afin d’éviter une décollecte massive, les établissements français ont misé sur une politique active de communication mais celle-ci s’est avérée insuffisante…
A l’instar de l’ensemble des acteurs du secteur bancaire, les banques privées ont perdu une partie de la confiance de leurs clients. La fonte des actifs de ces derniers étant une des causes majeures. Face à la crise, nombre de ces clients, attendaient plus de réactivité et de communication de la part des gestionnaires. Ils attendaient également une prise de risques moins inconsidérée…Fait d’autant plus avéré dans le cadre de la gestion sous mandat, où le client délègue entièrement la gestion de ses actifs à une équipe de gérants privés. Ces attentes n’ont pas été satisfaites et il faut dire que l’extrême médiatisation d’errements individuels tels que les affaires Madoff et Kerviel n’ont pas contribué à rassurer les clients. Cela a eu comme conséquence, période post-crise, des arbitrages de plus en plus massifs vers les fonds en euros (Assurance du capital investit et des intérêts) , produits les moins risqués et les moins rémunérateurs au détriment des unités de compte , plus risqué avec un meilleur rendement….Le doute fondé des clients trouvant de plus en plus d’échos, face à la dégradation de l’image des institutions financières, de la crainte de se voir proposer uniquement des produits profitables aux banques, du soupçon d’observer certaines institutions financières donner la priorité à la gestion de leur contrainte « Actif – Passif » à l’encontre de leur devoir de conseil …
Mais à ce stade de l’analyse, il convient de faire le point sur ces clients banque privée pour comprendre leurs exigences.
Les clients dans la gestion de patrimoine, s’ils répondent au premier critère de sélection, le « Ticket d’entrée » sont tous répartis par la suite dans différentes segments. Le ticket d’entrée représente le seuil minimum et s’entend comme une base. Cependant, le niveau de personnalisation ou du conseil sur mesure se fait en fonction du montant du patrimoine.
Sont habituellement distinguées trois ou quatre catégories de personnes aisées en fonction de leur niveau de patrimoine :
- les mass affluents, à la frontière entre la banque privée et la banque de masse ;
- Les high net worth individuals or HNWI;
- Les very high net worth individuals or VHNWI;
- et parfois les ultra high net worth individuals ou UHNWI.
Les services proposés à ces différents types de clientèles sont désignés par des termes variés selon le degré de sophistication offert : gestion de portefeuille (Gestion des investissements) ou gestion de patrimoine (Gestion de l’ensemble du patrimoine avec assurances, finances, placements, fiscalité, retraite, succession, aspects légaux ) ou, gestion privée (Gestion de patrimoine avec des clients bien nantis dont la situation présente une plus grande complexité), gestion de fortune ou encore Family-Office (Structures spécialisées dans une offre exclusive très personnalisée et pointue dédiée à quelques familles très fortunées qui ne peut pas être fournie par les banques universelles). Communément en France, toute la profession est regroupée sous l’appellation de gestion privée.
Indépendamment du segment, il apparait clairement que les besoins et comportements des clients ne cessent d’évoluer. Ces derniers attendent plus de transparence, moins de conflits d’intérêts dans leurs relations avec leurs conseillers, cela au travers par exemple du partage de l’information et des outils. Au détriment des offres de gestion sous mandant, les clients sont de plus en plus en quête d’autonomie et de contrôle sur leur capital. Le banquier, désormais devra se positionner plus vers l’assistance ou l’accompagnement que la gestion à part entière du capital.
Dans ce contexte délicat, la concurrence est de plus en plus acharnée dans la conquête du marché et le business model reste souvent le seul facteur de différenciation possible. Ce dernier variant sensiblement d’un acteur à l’autre, il apparait clairement que les défis ne sont souvent pas les mêmes, selon qu’on soit une banque privée, une banque de détail ou d’une banque indépendante. Toutefois, pour l’ensemble des acteurs de la gestion de privé, force est de constater que la pression de la recrudescence réglementaire qui s’applique à l’ensemble de la profession rend de plus en plus difficile l’exercice de réflexion stratégique d’adaptation du business model…
Le poids d’une facture réglementaire, de plus en plus salée
Depuis la crise financière, l’aversion au risque favorise des allocations d’actifs moins rémunératrices tandis que la réglementation est de plus en plus contraignante et génératrice de coûts supplémentaires. Tous les acteurs, doivent faire face à l’inflation réglementaire. La profession de la gestion privée ne peut nier la farouche volonté du régulateur de s’inscrire dans une logique croissante de protection des investisseurs et de transparence. Ont ainsi vu le jour, plusieurs réglementations et parmi les plus importantes pour le secteur, la Directive MIFID avec l’introduction des obligations de classification clients, des revues des processus KYC, de la transparence dans les rémunérations via l’interdiction des rétrocessions pour les conseillers indépendants afin de prévenir tout conflits d’intérêts. Les banques et les assureurs doivent faire face à de nouvelles exigences telles Fatca qui introduit la notion de lutte contre l’évasion fiscale, la possible levée du secret bancaire avec les accords Rubik, la mise en conforté avec les exigences de la directive LAB-LAT …. Ces réglementations impactent profondément le métier de la banque privée en introduisant de nouvelles contraintes liées aux formations, aux systèmes de contrôle, de segmentation des clients, d’organisation et entrainent de facto une réadaptation des systèmes informatiques. Cette réadaptation étant génératrice de coûts supplémentaires, la marge de manœuvre des acteurs s’en trouve réduite sur les aspects de vente : les négociations sont tendues avec les clients, les marges sous pression et le conseil est dévalorisé. La hausse des coûts de mise en conformité pour un revenu stable du fait de la baisse des taux sont autant de facteurs qui plombent le modèle de la banque privée. Ces dernières, pour être pérenne, se doivent de faire évoluer leur business models, tout en conciliant les contraintes de coûts liées à l’ardoise réglementaire et la nécessité de reconquête de la confiance perdue de sa clientèle.
Quels défis pour les acteurs du secteur ?
L’état des lieux post-crise montre que les défis à relever pour le secteur sont nombreux. Et parmi les plus importants, la nécessité d’optimiser et faire évoluer les business models. Et qui parle de business model parle du positionnement, d’offre, de segmentation… Dans ce domaine tous les acteurs ne font pas les mêmes choix. D’après l’observatoire de la banque privée Swisslife, on peut constater que les leaders du marché français sont ceux qui ont opté pour le model banque privée filiale d’une banque universelle avec l’adossement au réseau de détail en diversifiant le portefeuille d’activité pour attirer les clients aisés grâce à une offre variée et accessible à des tarifs records.
Il s’agit dorénavant de non seulement faire évoluer l’offre mais aussi de tirer parti des synergies commerciales dans un groupe, entre maison-mère, filiales dédiées au Retail, banques d’affaires ou des sociétés de gestion rattachées… Ces banques capitalisent sur leur large réseau pour attirer et retenir les individus à fort pouvoir d’épargne. « Les synergies intra-groupe (expertise internes, produits maison), l’extension de la nature des réseaux de distribution sont autant de facteurs de différentiation essentiels…. ». Du retail banking à la gestion de fortune : quelles stratégies face au durcissement du jeu concurrentiel ?- Avril 2011 – Xerfi,
D’autres models tels que ceux de la banque de détail, de la banque privée indépendante ou de la banque privée adossée à une société de gestion ont également fait leurs preuves :
Pour faire évoluer leurs business models, plusieurs pistes sont évoquées :
la nécessité de segmenter au plus finement la clientèle :
Avec la baisse du ticket d’entrée, le marché de la gestion privée s’est vu de plus en plus attrayant, élargissant de fait sa clientèle éligible. Toutefois, la classification actuelle selon le niveau des actifs financiers (Mass-Affluent, VHNWI, UHNWI….) ne reflète pas forcement les attentes ni le potentiel de nombreux clients, passant très souvent dans les mailles des gestionnaires de patrimoine. En effet, à fortunes égales, un entrepreneur et un retraité n’auront pas les mêmes besoins. A cela s’ajoute, l’oblitération d’un facteur capital : le potentiel, qui s’apparente à un investissement sur un capital futur.
Beaucoup d’acteurs du secteur, commençant à enfin prendre conscience de ce facteur, ne se limitent plus à la frontière des Mass-Affluent. De nouvelles cibles, aujourd’hui qualifié de « new money » à potentiel provenant généralement de la classe entrepreneuriale ou de cadres devront dorénavant faire l’objet de plus d’investissement de la part des banques privées.
En tout état de cause, il parait nécessaire de sortir des sentiers battus en ré-segmentant la clientèle, non plus uniquement sur des critères de seuils, mais en y intégrant d’autres critères tel que l’âge, la profession, l’origine de la fortune… pour mieux cerner les besoins et adapter l’offre en conséquence.
La nécessité d’étoffer l’offre en revalorisant le conseil et en intégrant de nouveaux modes de gestion :
Les acteurs et principalement les banques doivent mener des réflexions sur la refonte de leur offre de produits et de services afin de renforcer l’intérêt des clients et de disposer d’une gamme de produits plus large et rénovée. Après les conséquences de la crise financière, le défi pour tous les acteurs, en dehors de redorer l’image de la gestion privée sera de restaurer la confiance perdue des clients. Et pour cela il n’est plus envisageable de se contenter d’offres standardisées et d’approches centrées sur les produits, même si elles demeurent essentielles à une gestion efficace des coûts. Désormais, les gestionnaires de patrimoine se doivent de fournir des solutions qui vont au-delà du portefeuille de placements, en tenant compte des préférences personnelles des clients et de leurs besoins à chaque étape de leur vie. Cela passe par de nouveaux modes de gestion tel la « Gestion conseillée » se situant entre la gestion pour compte de tiers et la gestion déléguée et permettant à la clientèle d’avoir plus d’autonomie et de contrôle sur son capital. Le conseil devra être revalorisé en réduisant les conflits d’intérêts entre les acteurs de la gestion privée et leurs clients, en misant sur des relations à long terme et en faisant du Big Data un incontournable pour mieux identifier leurs besoins et comportements…
La nécessité de réadapter le modèle de tarification :
Dans une culture française où les honoraires de conseil sont généralement offerts aux clients, la refonte de la stratégie tarifaire reste un sujet sensible pour les acteurs. Face aux exigences accrues d’une clientèle prisée, fortement « bancarisée », et aux évolutions réglementaires introduites par la MIFID 2, les modèles tarifaires doivent évoluer. La part de la rémunération basée sur les commissions doit garantir l’absence de conflits d’intérêts, aussi certains acteurs abandonnent au fur et à mesure les formules traditionnelles de facturation à l’acte pour des formules forfaitaires (forfait unique comprenant tous les frais de gestion et commissions), rémunération à la performance (Pourcentage des gains du client) et enfin la facturation du conseil, jusque ici offerte.
La nécessité d’ajuster le maillage des réseaux de distribution via le canal digital :
La relation client se complexifie et la pertinence de la proposition de valeur des banques privées est fortement fragilisée. Les méthodes traditionnelles séduisent de moins en moins une clientèle férue de technologie. Il est important que les banques privées, intègrent dans leur approche clientèle une double proximité : physique et numérique au travers du digital.
A l’heure où le marché financier est de plus en plus inondé par les FinTech, technologies associées aux services financiers, les banques privées font face à de nouveaux acteurs qui ont fait du digital, leur terrain de jeu favori. Ces derniers ne cessent de révolutionner de plus en plus les services d’investissements en apportant, à coût réduit, un même niveau de conseil financier. Pour rester attractifs, les acteurs traditionnels se doivent de faire de la transition numérique, un sujet au cœur de leur développement..
La nécessité de renforcer l’efficacité opérationnelle :
Avec la chute continue des marges commerciales et l’augmentation des coûts d’exploitation, l’amélioration de l’efficacité opérationnelle devient un enjeu majeur incontournable. La facturé liée aux aménagements réglementaires nécessite d’optimiser les organisations existantes et rechercher les opportunités de mutualisation des activités industrielles avec d’autres partenaires groupe ou externe tout en conservant une gestion efficace des spécificités liées au métier gestion privée. Afin de pouvoir revenir aux coefficients d’exploitation d’avant la crise, les banques privées, n’ont d’autre choix que de mener des chantiers de réduction des coûts opérationnels. Cela devra passer par une gestion équilibrée entre le renforcement des systèmes d’information, l’amélioration de l’organisation et des processus et des effets ciseaux au niveau des coûts, afin de garantir l’efficacité opérationnelle tout en conservant le même niveau de service.
Des acteurs indépendants tels Edmond de Rothschild ont déjà amorcé des actions dans ce sens au travers des objectifs de leur plan stratégique prévoyant entre 2012 et 2016, une augmentation de plus de 20% des avoirs sous gestion et une amélioration de 17% du coefficient d’exploitation. Il en est de même pour certains acteurs adossés à des groupes bancaires tel que Credit Agricole Private Banking qui prévoit une croissance annuelle de son PNB d’environ 8% ainsi qu’une augmentation de près de 20% de ses commerciaux…
Bâle III, une énième opportunité de briller pour les banques privées ?
Si les banques privées ont de nombreux défis à relever pour redevenir rentables, on ne pourrait nier que l’édifice complexe des normes Bâle III qui régissent les obligations des banques concernant la gestion de la liquidité pourrait s’avérer être un formidable argument en leur faveur. En effet, le sujet de préoccupation majeure actuel concerne les réponses à apporter aux exigences des deux ratios LCR et NSFR introduits pour mieux prendre en compte le risque de liquidité. L’exigence particulière sur la nécessité pour les banques d’afficher des ressources stables en face de leur crédit à long terme et dont l’échéance est fixée à horizon 2018, entraine déjà au niveau des établissements financiers, une courses effrénée aux dépôts avec comme objectif de mobiliser l’épargne et les allouer justement dans ces ressources stables qui permettent de financer les crédits longs. Or les banques privées affichent des surplus de liquidités record avoisinant 15% encours…Constituant autant de motivations pour enfin amorcer les changements nécessaires à la relance de l’activité.
Face à ces nouveaux enjeux de segmentation clientèle, de sophistication de l’offre, du conseil, des modes de gestion, d’adaptation de la tarification, de multiplication des canaux de distribution et de renforcement de l’efficacité opérationnelle, les banques privées n’ont d’autres choix que d’entamer des actions pour y répondre sous peine de disparition….