Pourquoi le gérant d’actifs est une espèce en voie de disparition (et comment le sauver)
Malgré quelques récalcitrants, il est communément admis que le changement climatique n’est plus une hypothèse. C’est une réalité qui peut prendre la forme de manifestations extrêmes comme les sècheresses ou les pluies diluviennes. Une autre conséquence majeure est l’impact sur la diversité animale. Dans un monde où tout est lié, le dérèglement du climat modifie profondément l’habitat naturel de nombreuses espèces animales et met en danger leurs existences même, à l’image du Galago de Rondo qui vit en Tanzanie, une des espèces de primate les plus menacées au monde.
Le monde de la gestion d’actifs est également un écosystème où tout est lié. Et ces dernières années, il a subi un certain nombre de transformations ou d’évolutions majeures qui ont modifié le paysage et qui peuvent constituer autant de menaces pour les « espèces animales » qui en font partie.
Une de ces espèces, particulièrement centrale, est le gérant d’actifs : celui qui, en fonction de son processus de gestion, choisit ses actifs, procède à l’allocation de son portefeuille et tente de piloter son fonds ou son mandat vers plus de performance. Suivra-t-il le sombre destin du Galago de Rondo ?
Examinons les menaces qui pèsent sur cette « espèce ».
Des menaces qui ne sont pas sans conséquence sur le gestionnaire d’actifs.
Le gestionnaire d’actifs est attaqué de toutes parts
1- Le succès phénoménal des ETF
Au 3e trimestre 2016, leurs encours sous gestion ont atteint 2 852 milliards d’euros, soit 7 % de l’encours total de la gestion collective dans le monde selon les chiffres de l’EFAMA repris récemment dans une publication de l’AMF. Toujours selon cette étude, le marché des ETF listés sur Euronext Paris est en hausse de 66 % par rapport à 2014.
Certaines des raisons de ce succès sont connues comme une simplicité d’accès, un faible coût ou encore une liquidité garantie.
D’autres raisons sont plus techniques et conjoncturelles : dans un environnement de taux négatifs, beaucoup d’investisseurs privilégient des solutions d’investissement « fundées » par rapport aux solutions classiques comme les contrats à terme.
2- Un élargissement de l’offre d’indexation
Au-delà des classes d’actifs ou de la diversification géographique, le développement de l’offre smart beta donne accès à des stratégies d’investissement sophistiquées qui faisaient partie du domaine de la gestion active, il y a peu. Il en résulte une diminution de « l’habitat naturel » du gérant.
3- La fin des cycles économiques.
Aujourd’hui l’environnement macro-économique est beaucoup moins stable et moins lisible donc moins prévisible. L’année 2016 est riche en exemples. C’est un peu comme si l’environnement naturel était régulièrement bouleversé par des évènements imprévisibles : le gérant perd ses habitudes et sa vie est plus dure.
4- De nouveaux prédateurs : les « robo-advisors » ou les banques d’investissement
De lourds investissements ont été effectués dans ce domaine outre-Atlantique. Mais il est probablement trop tôt pour se prononcer sur l’évolution de cette nouvelle espèce.
Les banques d’investissement ont également envahi le terrain de la gestion et proposent des solutions d’investissement sous forme de stratégies systématiques avec des noms porteurs : par exemple traditionnal ou alternative risk premia. Ces stratégies prennent souvent la forme de swap indiciel et peuvent être proposées aux clients institutionnels de la gestion d’actifs ou directement au gérant qui souhaite accéder à une prime de risque particulièrement difficile à capter.
Dans un cas comme dans l’autre, les back test sont prometteurs car souvent optimisés et le dispositif est « ready to use » avec entre autre une réduction du risque de contrepartie ou des conditions de liquidité garantie.
Ces offres constituent de nouvelles briques de gestion qui peuvent apporter de la valeur. Mais quand les règles de fonctionnement de ces indices sont fréquemment révisées, où se situe la frontière avec la gestion discrétionnaire ? Et comment assumer la responsabilité fiduciaire du gérant vis-à-vis de ses clients dans ce contexte ?
Avec tant de menaces, comment le gestionnaire d’actifs va-t-il survivre ?
Seulement 19% des gérants américains ont battu leur benchmark en 2016 contre 41% l’année précédente selon une étude de BofA Merrill Lynch. Même parmi les Hedge Funds les plus réputés, les performances ne sont plus ce qu’elles étaient.
Il en résulte parfois une perte de confiance qui alimente la tendance pour les sociétés de gestion à réduire leur offre de gestion de conviction au profit parfois de la gestion quantitative. Ainsi la boucle est bouclée.
Il faut dire que cette tendance est accentuée par la nécessité, et pas toujours le choix, d’allouer plus de ressources sur d’autres secteurs et en particulier conformité règlementaire, risk management, due diligence, investissement technologique par exemple.
Si cette tendance se confirme, alors voici à quoi risque de ressembler le paysage de la gestion d’actifs : un monde où seul les plus gros survivront. Déjà 90% des AUM en France sont gérés par une dizaine d’acteurs seulement, selon l’analyse de MPG Partners. Si cette tendance se poursuit, alors de sérieuses menaces pèseront sur la diversité de l’offre, la compétitivité de la place et l’émergence de nouveaux talents.
Dans un environnement macroéconomique durablement imprévisible, soumis à des contraintes de plus en plus lourdes et face à ces nouveaux concurrents, notre gérant pourra-t-il survivre ?
Comment sauver le gérant ? Libérer la gestion de ses contraintes
Les raisons pour survivre
En premier lieu, les besoins en gestion d’actifs sont structurellement croissants dans les économies développées et affichent +5.3% depuis le point bas de 2008 en France, selon l’AFG et plus de 11% au Luxembourg selon l’ALFI. Ce constat est encore plus valable pour les économies émergentes. En effet, les raisons d’augmenter notre capacité d’épargne ne manquent pas : notre retraite, les études supérieures de nos enfants, notre santé, … Qui voudrait confier son argent, uniquement à un robot ou une stratégie d’investissement systématique ?
En second lieu, les modèles quantitatifs présentent un certain nombre de défauts :
- ils regardent vers le passé
- ils ne savent pas distinguer la chance de la compétence.
Enfin, une composante « humaine » forte est encore nécessaire dans la gestion d’actifs :
- même dans une production industrielle très automatisée, il reste des « humains » au commande avec des dispositifs de contrôle qualité poussés.
- lorsque l’on analyse des offres d’emploi, on trouve en règle générale comme softskills : aisance relationnelle, autonomie, rigueur et réactivité. Si les robo-advisors ou les stratégies systématiques satisfassent, presque tout le temps, les trois dernières qualités requises, Il n’est pas encore venu le temps où ils satisferont l’exigence d’aisance relationnelle…
De fait , le gérant d’actifs dont le métier a évolué par le passé pour intégrer tous les bénéfices des méthodes quantitatives reste un élément clé dans la gestion des actifs en tant que :
- garant de la relation avec ses clients, à l’écoute de ces besoins et de ces craintes pour leur proposer d’ajuster leurs stratégies d’investissement en fonction des évolutions de l’environnement,
- réseauteur pour récupérer des informations qui ne circulent sur aucun réseau électronique,
- influenceur au sein de groupe de travail de place et des autorités
- dépositaire de l’expérience ou de la sagesse conventionnelle utilisant les modèles comme benchmark et dont l’utilité est avérée pour calibrer les modèles, lors de crise, lorsque les modèles s’approchent de leurs limites d’utilisation
- développeur de stratégies alternatives aux stratégies « mainstream » pour notamment exploiter les anomalies du marché
Ou tout simplement, tout le monde ne peut pas se permettre d’avoir accès à des stratégies quantitatives complexes et couteuses et le gérant d’actifs reste de fait une solution très attractive.
La question se pose dès lors de savoir comment le sauver.
Trop de contraintes
Aujourd’hui, le modèle opérationnel de la gestion d’actifs n’est plus optimal. Soumis à toutes sortes de contraintes, il lui reste de moins en moins de ressources pour sa fonction première : générer de la performance pour son client.
Ces contraintes répondent toutes à un besoin : une meilleure gestion du risque, une meilleure information du client, une meilleure gouvernance. Elles ne peuvent être remises en cause pour la plupart.
De plus, elles nécessitent des compétences multiples et pointues parmi lesquelles juristes, informaticiens, spécialiste de la due-diligence opérationnel, de la conformité réglementaire, déontologues, spécialiste des risques.
Un autre modèle opérationnel
Face à ces contraintes, une nouvelle organisation de l’industrie s’impose.
Une organisation qui reposerait sur une offre développée de services spécialisés. Cette offre de service permettrait aux sociétés de gestion de déléguer ou d’externaliser les tâches qui ne sont pas au cœur de leur métier.
Ces sociétés de services spécialisées dans le secteur de la gestion d’actifs pourraient faire mieux et moins cher. Mieux s’il s’agit de spécialistes et moins cher si l’économie d’échelle peut jouer.
L’externalisation peut s’appliquer dans de nombreux domaines : gestion des appels d’offres, référencements sur plateforme, marketing, cotation des produits, distribution internationale, choix des fournisseurs de données pour ne citer qu’eux. Le curseur est lié à la taille de la société de gestion et sa capacité à héberger ces fonctions en interne.
Bien sûr de telles offres de services existent déjà, en France et ailleurs.
Ainsi, les sociétés de gestion pour compte de tiers au Luxembourg en sont un exemple. Mais elles répondent plutôt à une problématique de localisation géographique.
Dans les grands groupes du secteur organisés en galaxie de petites structures de gestion de niche certaines fonctions support sont déjà mutualisées.
Cependant on est loin de l’industrie automobile ou aéronautique où les constructeurs s’appuient sur une multitude de fournisseurs spécialisés. Alors comment y arriver ?
Comment évoluer vers ce modèle ?
Deux facteurs sont nécessaires au développement de cette industrie de service : il faut des acteurs décidés à s’engager dans cette voie et l’aménagement d’un environnement règlementaire favorable.
Parmi les acteurs potentiels, viennent naturellement les dépositaires, valorisateurs, teneurs de compte qui pourraient y voir l’opportunité d’étoffer d’avantage leurs offres de service. Mais d’autres acteurs pourraient intervenir et notamment les cabinets juridiques ou les, cabinets de conseil.
Le cadre réglementaire devra probablement être renforcé afin de permettre et sécuriser l’externalisation de ces fonctions.
Cela n’arrivera pas en quelques mois mais l’industrie de la gestion d’actifs est encore relativement jeune. Et surtout, ce serait une alternative au scenario de concentration qui est communément anticipée.
Conclusion
Aujourd’hui le gérant évolue dans un environnement imprévisible et difficile. Il est lesté de contraintes et menacé par de nouveaux prédateurs. Mais dans un écosystème efficient avec une offre de service variée et concurrentielle, non seulement sa vie s’en trouvera facilitée mais l’émergence de jeunes pousses prometteuses sera favorisée.
Ainsi le gérant pourrait rester concentré sur son cœur de métier. Et la société dans laquelle il travaille redeviendrait véritablement une société de gestion.
Il quitterait ainsi sa place dans la liste des primates en voie de disparition, juste après le Galago de Rondo.