Enjeux de gestion du risque climatique dans le secteur financier
Article rédigé par Nathalia COSTA GRIMALDI GOEDE, Senior Consultante, et Fares BOUKROUH, Senior Manager.
1. Le changement climatique
Depuis 1850, la croissance de la demande d’énergie accompagnant l’industrialisation de l’économie mondiale a significativement contribué à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre («GES») dans l’atmosphère. L’extraction et la consommation des combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel) sont les activités humaines qui constituent les principales sources d’émission de GES et qui sont responsables de l’accélération de la hausse des températures sur la Terre.
A terme, le réchauffement climatique conduirait à la multiplication des catastrophes naturelles et à l’accroissement de leur sévérité avec des impacts irréversibles sur la planète, les économies et les sociétés les plus exposées. De plus, les mouvements des populations qui s’en suivront et les éventuels conflits engendrés par le manque de ressources causeront la propagation de la crise climatique vers les régions les moins impactées.
L’Accord de Paris sur le Climat adopté en 2015 a pour objectif central de renforcer la réponse mondiale face à la menace du changement climatique. Cet accord envisage expressément de limiter l’augmentation de la température mondiale à un niveau bien inférieur à 2°C par rapport aux niveaux préindustriels en atteignant la neutralité carbone à horizon 2050.
2. Transmission du risque climatique au secteur financier
L’augmentation de la fréquence et de la sévérité des catastrophes naturelles, conjuguée aux actions des acteurs politiques et économiques en faveur de la transition, exposent indirectement le secteur financier aux risques climatiques. Ces derniers se transmettent indirectement vers les bilans des institutions financières qui se trouvent confrontées aux :
- risques physiques qui portent sur les dommages directement causés par les phénomènes météorologiques, ainsi que sur les effets chroniques liés au changement climatique. Ces risques conduisent à la dégradation de la qualité de crédit des acteurs économiques dans les régions et secteurs affectés (par ex. secteurs agricoles par exemple), à la baisse de rentabilité de certains actifs de production (usines et chaînes d’approvisionnement) et à la détérioration des collatéraux (par ex. immobiliers et infrastructures exposés).
- risques de transition qui résultent des effets de la mise en place d’un modèle économique « bas-carbone ». La réglementation des secteurs intenses en carbone (énergies fossiles, miniers, industriels) et la taxation des émissions de CO2 augmenteront les coûts associés à la production des biens et services liés. En fonction de la capacité à répercuter ces coûts sur les consommateurs finaux et l’existence d’alternatives sur le marché, certains secteurs et/ou zones géographiques se trouveront fragilisés. L’altération des chroniques de revenues et la dégradation de la qualité des actifs des entreprises impactées font peser des pertes importantes aux institutions financières qui y sont exposées.
Dans ce contexte, le risque climatique devient un risque financier systémique. En conséquence, le secteur financier est progressivement confronté au renforcement des exigences réglementaires tout en devant adapter sa stratégie pour permettre l’intégration des impacts climatiques et la mise en place d’une gouvernance de risques adaptée. Les sociétés financières doivent notamment :
- identifier et analyser les canaux de transmission du risque climatique à leurs portefeuilles avec une décomposition par zone géographique et secteur;
- adapter leurs dispositifs de mesure et gestion des risques en révisant la liste des indicateurs (KRI ou Key Risk Metrics) dans le dispositif d’appétit aux risques selon les stratégies de décarbonation visées;
- déployer de nouveaux outils d’analyse et simulation de scénarios climatiques intégrés au processus de gestion des risques financiers et non financiers.
- et innover pour répondre aux besoins du marché et se conformer à la réglementation.
3. Les 4 piliers de la gestion du risque climatique
Le développement d’un dispositif de gestion du risque climatique passe par la mise en place d’une gouvernance efficace qui implique la direction générale et assure une déclinaison opérationnelle des directives stratégiques. Cette gouvernance devra être déclinée aux travers de quatre axes :
La Stratégie● Intégrer les aspects liés aux risques physiques et de transition dans l’exercice de planification stratégique en considérant une trajectoire sur le moyen et le long terme. ● Définir la gouvernance en adressant les spécificités du risque climatique dans les processus de : ○ surveillance au niveau du board et délégation des rôles et responsabilités sur les trois lignes de défense ; ○ définition du niveau de tolérance de l’institution au risque climatique ; ○ revue interne du Risk Appetite Framework (RAF) et des Key Risk Metrics (KRI). |
La Mesure● Déployer des outils d’analyse par scénario permettant d’estimer l’impact de différentes trajectoires d’émission de CO2 sur l’économie et sur les facteurs de risques financiers auxquels les actifs et passifs des institutions financières sont corrélés. ● La construction de scenarios est un processus itératif dont la complexité doit être en cohérence avec la nature des expositions et avec l’objectif des analyses visées par chaque institution financière, ● Compléter et améliorer les techniques de mesure traditionnelles telles que les notations ESG, en capitalisant sur les résultats de l’analyse par scenarios ● Déployer les techniques de mesure dans des outils efficace et évolutifs |
L’Innovation● L’innovation financière doit permettre de mettre en place de nouveaux produits, services et réglementations pour accompagner la transition de l’économie vers un modèle à faible émission de gaz à effet de serre ● Elle doit également permettre de mieux comprendre les enjeux climatiques pour l’ensemble des acteurs de l’économie et apporter des solutions de couverture et d’atténuation de ces risques. |
La Transparence● Les institutions financières sont tenues de participer aux exercices de stress tests climatiques qui sont déjà menées par les régulateurs (ACPR, BCE et d’autres organismes de supervision selon le pays) et se conformer aux nouvelles réglementations (SFDR, taxonomie …) ● Chaque institution financière doit faire évoluer ses outils internes de reporting pour communiquer les informations relatives à leur exposition au risque climatique au marché (agences de notation, investisseurs) et régulateurs. |
4. Challenges
La nature du risque climatique, l’horizon long le concernant et les incertitudes quant à sa réalisation rendent la modélisation et le suivi de ce risque très complexes. Par conséquent, les institutions financières sont confrontées à de multiples challenges dont :
- La disponibilité et la qualité des données : les données nécessaires pour suivre et modéliser le risque climatique sont souvent peu disponibles, de mauvaise qualité et les historiques ne sont pas suffisamment documentés et détaillés.
- L’incertitude des scénarios d’analyse : l’horizon de réalisation du risque climatique est sur le long terme (10 à 80 ans), ce qui augmente le niveau d’incertitude autour des projections et limite la prise en compte des effets dans les modèles de gestion.
- L’intégration dans le modèle de gestion : l’horizon d’analyse du risque climatique est supérieur à celui de la planification stratégique, ce qui soulève la question de l’intégration de ses effets dans le plan moyen et long terme.
- Les relations commerciales : une stratégie de décarbonation des portefeuilles des institutions financières rend complexe les relations de confiance entre les institutions et leurs clients, notamment dans les secteurs intenses en carbone.
- La formation de tous les acteurs de la chaîne de valeur aux principes de gestion du risque climatique pour rendre les procédures internes effectives et assurer la conformité des dispositifs aux nouvelles exigences réglementaires.
5. Conclusion
Les défis liés à la donnée et à la mesure des impacts du risque climatique ne doivent pas empêcher les institutions financières d’évaluer dès à présent les enjeux climatiques qui leurs sont propres, identifier les canaux de transmission à leurs bilans et comptes de résultat et mettre en place des stratégies adéquates de mitigation.
La pression des gouvernements, des marchés et des régulateurs s’intensifie et exige de plus en plus des institutions financière la transparence et l’intégration d’autres objectifs que le climat dans leurs stratégies (par ex. la biodiversité). Cette transformation du secteur financier offre des opportunités pour les institutions leaders et permettra aux investisseurs et intermédiaires des marchés de capitaux de jouer un rôle majeur dans la lutte contre le réchauffement climatique.